“Oblomov, ou la douce paralysie du monde”

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Dans une petite chambre qui tient lieu d’univers, un homme s’abandonne au sommeil, à la paresse, à la rêverie. Oblomov, jeune aristocrate russe, héritier d’un domaine qu’il ne gère plus, passe ses journées allongé sur son lit, sous le regard patient — et parfois exaspéré — de son valet Zakhar. Autour d’eux, le temps s’est arrêté. L’horloge est en panne, la poussière s’accumule, les factures s’entassent, mais tout cela peut bien attendre. “Plus tard”, répète le maître.

Une comédie de l’inaction

Adaptée du roman d’Ivan Gontcharov, cette pièce plonge le spectateur dans une étrange léthargie. Oblomov incarne cette aristocratie russe décadente, épuisée avant même d’avoir agi. Il voudrait se lever, s’habiller, écrire, gérer son domaine… mais chaque geste lui semble inutile, chaque effort vain. “À quoi bon ?” dit-il, à demi-assoupi. Son valet Zakhar, fidèle malgré tout, cherche en vain une lettre, une pantoufle, un peu d’encre. Le maître s’endort, se réveille, rêve de projets qu’il ne réalisera jamais.

Le rêve comme refuge

Oblomov vit dans un monde intérieur d’une richesse vertigineuse. Il rêve d’améliorer son domaine, d’y construire une salle de billard, un bureau, une maison plus belle encore. Il imagine Olga, l’amour de sa vie, qui chante et l’appelle à revenir du froid. Tout se confond : le passé, le rêve, la fièvre. Zakhar devient la mère, la confidente, l’amante, selon les délires du maître malade.
La chambre se fait cocon et prison, un lieu à la fois de refuge et d’enfermement. Le spectateur ne sait plus s’il assiste à une scène réelle, un songe ou un délire.

Un huis clos hypnotique

La mise en scène choisit l’intimité : dans une petite cave aux dimensions humaines, un décor sobre où la lumière sculpte les frontières floues entre veille et rêve. Les deux comédiens, d’une précision rare, font exister tout un monde invisible. Yvan Varco, dans le rôle de Zakhar, habite littéralement son personnage : chaque respiration, chaque regard, témoigne d’une complicité à la fois tendre et tragique avec son maître.

Un refus du monde

Oblomov n’est pas seulement le portrait d’un homme indolent. C’est une méditation sur la liberté.
Refuser le monde extérieur, ses obligations et ses hypocrisies, c’est une manière de résistance. Oblomov, dans son immobilité, rejette la bassesse, la cupidité et les vanités de la société. Comme un moine laïc, il choisit la pureté du retrait.

Mais cette fuite a un prix. Car s’isoler, c’est aussi renoncer à agir, à aimer, à vivre.
Sartre l’aurait dit : “Refuser le monde, c’est encore choisir, mais c’est choisir l’impuissance.”
Ainsi, la pièce oscille entre libération intérieure et naufrage existentiel.

De la chambre à la folie

La frontière entre rêve et délire s’efface peu à peu. Oblomov, fiévreux, délire, se prend pour un enfant, appelle Zakhar “maman”, rejoue ses amours perdues. Est-il malade, fou, ou simplement lucide dans son refus du réel ?
Cette lente dérive rappelle le Travis Bickle de Taxi Driver, enfermé dans son taxi, ou Antoine Roquentin de La Nausée, pétrifié par l’absurdité du monde.
Chez tous, le même vertige : quand la solitude devient abîme.

Une fable moderne

Sous ses airs de fable russe, Oblomov résonne étrangement avec notre époque saturée d’agitation et de burn-out. Dans ce refus de “faire”, dans cette fatigue du monde, il y a quelque chose de profondément contemporain.
Et si l’inaction d’Oblomov était une autre forme de révolte — un cri silencieux contre la vitesse et la vacuité du monde moderne ?


En résumé

Oblomov, c’est le portrait d’un homme qui s’endort pour échapper au monde — et d’un monde qui s’endort faute de sens.
Une pièce à la fois drôle, mélancolique et vertigineuse, où le silence parle plus fort que les mots.

Rédaction : Maxime Dorian

OBLOMOV

De : LM Formentin.

D’après : Ivan Gontcharov

Mise en scène : Jacques Connort

Théâtre Essaïon – jusqu’au 25 octobre

Crédit Photos : ©Pascal Gely

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