Le théâtre a cette faculté rare : celle de nous transporter hors de notre quotidien, de nous faire ressentir mille émotions, de nous bousculer. Et même s’il est par nature éphémère, il laisse parfois une empreinte durable — surtout lorsqu’il nous amène à réfléchir, à voir le monde autrement.
C’est précisément ce que propose la pièce Je rêvais d’un autre monde, présentée au Théâtre du Ranelagh, en partenariat avec l’UNAPEI92, association engagée dans la sensibilisation à l’autisme.
Souvent méconnu, parfois caricaturé par des clichés, le spectre de l’autisme est ici placé sous les projecteurs.
Un monde inversé
Imaginez un monde en crise : politique, économique, sociale, écologique. Un monde au bord du gouffre, fruit des décisions des « neurotypiques » — ces personnes non concernées par les troubles du spectre autistique.
Dans cette réalité renversée, on décide de confier le pouvoir aux personnes autistes, pour voir si elles sauraient mieux diriger l’humanité.
Dès leur arrivée, ces nouveaux dirigeants prennent une mesure radicale : un salaire universel égal pour tous, non plus fondé sur la performance, mais sur la valeur intrinsèque de chaque individu — un salaire pour ce que l’on est, non pour ce que l’on sait faire.
Monde imaginaire, absurde, presque enfantin : la pièce aborde le handicap avec humour et finesse, tout en soulevant des questions profondes.
Une satire de notre société
Sous un ton léger, la pièce interroge : Sommes-nous prêts à imaginer un autre monde ? À renoncer à la domination, à l’enrichissement personnel ? À reconnaître la richesse des différences ?
La mise en scène, inventive, intègre des écrans et des projections donnant accès aux pensées intérieures des deux protagonistes autistes.
Le bunker où se déroule l’action, posé au bord d’un gouffre, symbolise à la fois la dérive de notre société et le fossé entre autistes et neurotypiques.
Il évoque aussi « l’enfermement mental », trop souvent associé aux personnes autistes, pour mettre en lumière celui plus insidieux d’une société qui cherche sans cesse à normaliser ce qui ne lui ressemble pas.
La pièce devient ainsi une mise en abyme : lorsque les autistes prennent le pouvoir, ils finissent par reproduire les mêmes travers que leurs prédécesseurs. Et si, finalement, nous étions tous simplement humains, à reconnaître « ce que nous sommes plutôt que ce que nous ne savons pas faire » ?
Entre participation et témoignage
Avant la représentation, des ateliers immersifs invitaient le public à expérimenter, le temps d’un instant, certaines perceptions propres aux personnes autistes.
Après la pièce, le témoignage de Camille, femme autiste, mère d’un enfant également sur le spectre, a offert un éclairage authentique et émouvant sur la réalité du quotidien.
Rappelons que l’autisme touche plus de 700 000 personnes en France, dont près de 100 000 enfants et jeunes de moins de 20 ans.
Un théâtre de l’absurde au service du sens
S’inspirant d’une interview de Josef Schovanec, philosophe, écrivain et militant autiste engagé dans la sensibilisation à l’autisme, Benjamin Oppert signe un texte qui s’inscrit dans la lignée du théâtre de l’absurde.
Schovanec plaide pour la dignité et l’inclusion des personnes autistes, notamment dans le monde du travail, à travers ses ouvrages, conférences et interventions médiatiques. Le texte d’Oppert, à travers des paradoxes et des situations insolites, remet en question les conventions sociales et linguistiques, et invite le spectateur à interroger sa propre perception de la normalité.
Une empreinte durable
Je rêvais d’un autre monde n’est pas qu’une fiction : c’est une expérience sensible et intellectuelle.
Une pièce qui éclaire, émeut, et laisse cette trace rare — celle d’un théâtre qui ouvre les consciences et fait bouger les lignes.
Rédacteur : Maxime Dorian
Je rêvais d’un autre monde
Auteur : Benjamin Oppert
Mise en scène : Benjamin Oppert

