Il suffit d’une photo pour que tout recommence. Sur le bureau de son ami Hugues, Laurent découvre l’image d’une maison : une façade ordinaire, des rideaux tirés, un mystère derrière les vitres. C’est le point de départ d’un voyage vertigineux à travers la mémoire et l’absence — celle d’une mère, celle du passé, celle des visages qui s’effacent.
Une maison, des photos, une apparition
Dans Fantômes, tout part d’une image : celle d’une demeure d’enfance. Autour d’elle, se déploient d’autres images, celles que Hugues conserve dans des cartons remplis de photos familiales. Les clichés deviennent autant de portes ouvertes sur le souvenir, mais aussi sur le mensonge de la mémoire.
Car que voit-on vraiment sur une photo ? L’instant figé du réel ou la projection de notre propre nostalgie ? À travers ce questionnement, la pièce interroge la trace que chacun laisse, une fois que plus personne n’est là pour raconter notre histoire.
Le fantôme de la mère
Peu à peu, le spectateur comprend que le véritable troisième personnage de la pièce est le fantôme de la mère de Hugues — belle, longiligne, élégante, mais tragiquement absente. Son suicide hante chaque image, chaque silence, chaque ombre projetée sur le mur.
Certaines de ses photos ont été raturées par elle-même, comme si elle voulait effacer sa présence, ou se protéger du regard des autres. Pourquoi ce geste ? La pièce ne répond pas, elle suggère, elle laisse flotter la question, dans une tension entre tendresse et incompréhension.
Les photos comme empreintes et illusions
Le texte explore avec finesse notre rapport à la photographie : ces images qui prétendent tout montrer, mais ne disent jamais la vérité entière.
Les photos sont-elles des empreintes du passé ou bien des interprétations subjectives, déformées par le souvenir et la douleur ? Peut-on y lire la tristesse d’une femme qui se suicide, ou bien projetons-nous nos propres émotions sur son visage ?
Hugues, entouré de ses boîtes de clichés, cherche à reconstruire une histoire — ou à s’en inventer une. Les photos deviennent pour lui une forme de littérature : un moyen de raconter et de se raconter.
Une mise en scène de la mémoire
La scénographie, sobre et poétique, amplifie cette réflexion.
Derrière les protagonistes, un écran projette des photos : certaines réelles, d’autres floues, fantomatiques, presque effacées.
La lumière y joue un rôle essentiel : elle fait surgir les images, les transforme, les efface. Comme dans la mémoire, rien n’est stable.
Et lorsque les photos, à la fin, s’envolent au vent, c’est toute la question de l’éphémère qui se matérialise — la fragilité des souvenirs, le passage du temps, la disparition.
Une enquête intime et universelle
À travers l’enquête que mène Laurent sur la vie de la mère de Hugues, la pièce tisse un dialogue à trois voix : celle du fils, de l’ami, et du fantôme.
L’ami, discret, devient le témoin de cette confession, celui qui aide à mettre des mots sur la perte, sans jamais s’imposer.
Le duo partira jusqu’au village d’enfance de Hugues, où les lieux et les visages ont changé. Là encore, une question surgit : faut-il vraiment retourner sur les lieux du passé, ou vaut-il mieux les garder dans la lumière fragile du souvenir ?
Un théâtre de la trace et du temps
Fantômes ne cherche pas la résolution, mais la résonance.
C’est une pièce sur le deuil, sur la mémoire, sur les histoires que l’on se raconte pour ne pas sombrer dans le silence.
Un théâtre du murmure et de la lumière, où les photos deviennent des personnages à part entière — témoins d’une vie, ou peut-être simples reflets de nos illusions.
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En résumé
Fantômes est une méditation délicate et mélancolique sur la mémoire et la disparition.
Portée par une mise en scène visuelle et sensible, la pièce interroge ce que nous voyons, ce que nous croyons voir, et ce que nous ne verrons plus jamais.
Rédacteur : Maxime Dorian
Auteur : Philippe Minyana
Mise en scène : Laurent Charpentier
Théâtre de la ville Sarah Bernhardt coupole
Crédit photo : Hervé Bellamy

