Dans Les Vivants, Ambre Chalumeau choisit de raconter le drame du coma d’un jeune homme, Simon, à travers un prisme original : celui d’un « on » narratif. Ce choix de narration collective, presque anonyme, donne d’emblée une couleur singulière au récit. Ce « on » pourrait être celui d’un voisin qui raconte une histoire qu’il a vaguement suivie, d’un journaliste qui expose les faits avec méthode, ou d’un avocat qui plaide avec mesure pour ceux qui restent. Ce n’est pas trois voix différentes, mais une même voix qui change de posture, oscillant entre le compte rendu objectif et la confidence distanciée.
Cette forme, à la fois audacieuse et contraignante, crée une distance émotionnelle. Le récit semble souvent défait d’émotion, comme si le narrateur observait les faits à travers une vitre. L’écriture, précise et contrôlée, donne parfois l’impression d’un journalisme romanesque, propre, bien construit, mais un peu trop lisse. Pour un sujet aussi viscéral — le coma d’un ami, d’un fils, d’un frère —, on aimerait sentir plus de désordre, de souffle, de tripes. Or Ambre Chalumeau semble préférer la rigueur à la débordante humanité.
Son roman est très documenté, réaliste jusque dans les pensées et les gestes des personnages. Mais cette justesse se paie au prix d’une retenue émotionnelle : tout est dit, mais peu est ressenti. Le récit avance comme un témoignage extérieur, sans véritable affect. Peu de dialogues viennent rompre ce flux narratif ; les personnages évoluent surtout dans la tête du narrateur, rarement dans la chair de la conversation.
Les hommes secondaires, quant à eux, apparaissent sous un jour sombre : le père de Simon, lâche et infidèle, Mathieu, le petit ami abusif de Clara, Thomas, le frère rongé par la jalousie, ou Yves, père volage accumulant les conquêtes. Tous semblent incarner une masculinité abîmée, en contraste avec les figures féminines plus nuancées, mais elles aussi prisonnières d’un certain mutisme.
Au cœur de tout cela, une question obsède : pendant que Simon dort, la vie des autres s’endort-elle aussi ? Le coma, comme une métaphore du temps suspendu, révèle les fissures d’un entourage qui hésite entre attendre et continuer à vivre.
La comparaison avec Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet s’impose : même point de départ – un ami dans le coma, un groupe d’amis en crise –, mais un traitement radicalement différent. Là où Canet laisse exploser les émotions, les maladresses, les excès, Chalumeau contient tout. Son roman, sobre et maîtrisé, laisse peu de place aux larmes.
Mais c’est peut-être le signe d’un premier roman : celui d’une autrice encore sur la retenue, soucieuse de bien faire, comme une bonne élève qui récite avec application ce qu’elle sait déjà faire – observer, décrire, ordonner. On y sent le talent journalistique d’Ambre Chalumeau, son sens du rythme et du détail, mais aussi les limites d’une écriture qui ne s’abandonne pas encore.
On espère que dans ses prochains livres, elle saura desserrer l’armure, se laisser traverser par l’émotion, par le désordre du vivant. Car c’est bien ce qu’on attend d’elle, et ce que son titre promet : Les Vivants.
Maxime Dorian
« Les vivants » Ambre Chalumeau. Ed Stock

