Un coming out à rebours, bouleversant d’intelligence et de tendresse
Il y a dans Les garçons et Guillaume, à table ! quelque chose de rare : un texte d’une lucidité implacable, qui fait rire, émeut, et surtout interroge avec subtilité ce que signifie devenir soi.
Tout part d’un appel lancé par une mère à ses enfants : « Les garçons et Guillaume, à table ! » Une phrase en apparence anodine, mais qui creuse un écart. Dès les premiers mots, Guillaume est désigné autrement, mis à part. Pas tout à fait un garçon, presque une fille — ce qu’aurait d’ailleurs souhaité sa mère. C’est ce glissement affectueux, presque inconscient, qui va influencer toute la construction identitaire de Guillaume.
Guillaume est un enfant doux, rêveur, qui adore singer sa mère. Ce ne sont pas des jeux d’imitation anodins : dans ces postures, ces gestes, il cherche sa place, cherche à se reconnaître. On le voit peu à peu calquer ses attitudes sur celles des femmes de son entourage, ses tantes notamment, dans une tentative touchante d’exister selon les attentes qu’il perçoit. Pour sa mère, c’est une évidence : Guillaume est homosexuel, il ne le sait pas encore, ou refuse de l’assumer.
Mais Guillaume, justement, doute. Il tente d’entrer dans ce rôle qu’on lui assigne, jusqu’à essayer, presque par devoir filial, une histoire avec un garçon. Car au fond, un enfant croit toujours que ses parents savent mieux que lui qui il est. Or ici, la grande réussite de la pièce est de montrer avec une grâce infinie comment l’amour, quand il devient projection, peut brouiller les repères les plus fondamentaux.
C’est finalement la rencontre d’Amandine qui fera éclater tous ces schémas. Guillaume tombe follement amoureux — et soudain, tout devient limpide. Ce n’est pas une “conversion”, ni un revirement. C’est un moment de vérité. Ce que nous raconte Guillaume, c’est un coming out à rebours : celui d’un homme qui doit affirmer son hétérosexualité dans une famille qui le croit — et le veut peut-être — homosexuel.
Et cette histoire, il la raconte avec une sincérité désarmante. La mise en scène est d’une intelligence rare. Sur scène, un empilement de valises, métaphore des souvenirs, des injonctions, des rôles qu’il a endossés. À mesure que Guillaume les ouvre, il libère des fragments de vie : un accessoire, un mot, une situation marquante… Ces objets deviennent les jalons d’une traversée identitaire, tour à tour drôle, cruelle et poignante.
La lumière, toujours délicate, épouse les nuances du texte. Le jeu de Guillaume est d’une justesse bouleversante : il se met littéralement à nu, dans une parole qui n’élude rien, ni les moments d’humiliation, ni les élans de tendresse, ni les doutes profonds. C’est un solo puissant, intime, mais qui touche à l’universel.
Les garçons et Guillaume, à table ! n’est pas seulement une œuvre autobiographique : c’est un miroir tendu à tous ceux et celles qui, un jour, ont dû choisir entre le regard des autres et la vérité de leur être. Guillaume nous offre ici une leçon lumineuse : celle de l’émancipation intérieure, contre les clichés, contre les normes, et parfois même contre l’amour trop intrusif.
Un chef-d’œuvre de finesse, de courage et d’humour. À voir absolument.
Maxime (correspondant « Culture » Le Bruit du Off et Baz’Art)