La lutte des classes à travers les mots.
Adaptée du succès britannique de Willy Russell, L’Éducation de Rita est une pièce qui mêle habilement humour, émotion et réflexion sociale. Derrière le duo improbable formé par une jeune coiffeuse en quête de savoir et un professeur désabusé, se dessine une fresque touchante sur l’ascension sociale, la culture, et le prix de la transformation.
Rita, pétillante, brute, vive d’esprit, est issue d’un milieu populaire où la culture savante semble réservée aux autres. Pourtant, poussée par une soif d’émancipation et une volonté farouche de “devenir quelqu’un”, elle pousse la porte de l’université et rencontre Frank, un professeur de littérature fatigué, cynique, noyé dans l’alcool et les regrets. Leur rencontre, d’abord maladroite, devient peu à peu une véritable confrontation de mondes, de valeurs, de désirs inavoués.
Le parallèle avec My Fair Lady est évident : comme Eliza Doolittle, Rita va s’affiner, se cultiver, s’élever — mais à quel prix ? Car si son langage change, si sa posture devient plus assurée, si son apparence se transforme, c’est aussi une part de sa fraîcheur, de son authenticité, qui semble s’éroder. La pièce pose alors une question dérangeante : l’accès à la culture doit-il nécessairement passer par la perte de soi ?
C’est toute la réussite de cette pièce : nous faire rire, nous émouvoir, tout en pointant les ambiguïtés du processus de “l’éducation”. La mise en scène (selon l’adaptation) est souvent sobre, centrée sur le jeu d’acteurs et la tension entre les deux personnages. La qualité de l’interprétation est ici primordiale : il faut une Rita à la fois drôle, naïve et bouleversante, et un Frank à la fois repoussant et attachant. Lorsque cette alchimie opère, L’Éducation de Rita devient un grand moment de théâtre.
Avec un regard à la fois tendre et critique sur les rapports de classes, sur le pouvoir des mots et les pièges de l’ascension sociale, cette pièce s’inscrit dans une grande tradition du théâtre britannique, alliant finesse d’écriture et satire sociale. Une œuvre à la fois légère et profonde, qui nous rappelle que l’éducation est un chemin sinueux — et que la liberté n’est pas toujours là où on l’attend.
Maxime (correspondant culturel Le Bruit du Off et Baz’Art)