Sous des airs de cabaret d’après-guerre et les échos feutrés d’un jazz club new-yorkais, Fantasmagloria nous transporte dans un univers envoûtant où le rêve et la réalité se frôlent jusqu’à se confondre. Avec des décors minimalistes mais terriblement évocateurs, ce spectacle prouve qu’il suffit parfois de peu pour faire naître la magie : quelques lumières bien placées, une poignée d’artistes habités, et l’imagination du public fait le reste.

Dès les premières minutes, nous voilà plongés dans la chambre d’un homme : un rêveur, un romantique, un timide aspirant à écrire sa vie dans la lumière tamisée d’un cabaret de jazz. Il a un projet fou — ouvrir son propre club — et quatre muses, véritables égéries du spectacle, vont donner corps à cette utopie. Très vite, la salle s’embrase : les numéros s’enchaînent, les chorégraphies électrisent, les voix s’élèvent. L’énergie est communicative, l’esthétique impeccable. Comme dans un kaléidoscope, tout bouge, scintille, se transforme sans cesse. Les costumes — particulièrement les fameuses robes “abat-jour à franges”, clin d’œil délicieux aux icônes rétro — ajoutent une touche d’humour et de raffinement.
Mais sous les paillettes affleure la fragilité du rêve. Le succès, l’opulence, la tentation… les muses se laissent happer par la lumière trompeuse du cabaret : alcool, jeu, illusions. Le créateur, lui, demeure fidèle à son idéal et à l’amour qu’il porte à l’une d’elles. Grand romantique, il finit par lui avouer ses sentiments — avant de découvrir, avec une douleur poignante, que cet amour n’est pas partagé. Celle qu’il aime ne voit en lui qu’un moyen, qu’une source d’argent et de reconnaissance. Le cœur du rêveur se brise, non pas par lassitude, mais par lucidité. On ne lui retire pas son amour, on lui ouvre les yeux.

La mise en scène, toute en contrastes, joue merveilleusement de cette tension. Les décors épurés laissent toute la place aux interprètes, dont la folie et la générosité explosent littéralement sur scène. La musique, elle, est un personnage à part entière : tour à tour exaltée, mélancolique ou envoûtante, elle puise dans un répertoire éclectique, de Lady Gaga à Julie London (Cry Me a River), de Michel Berger à Mylène Farmer, jusqu’aux Moulins de mon cœur. Chaque chanson devient un miroir de l’âme des protagonistes, un fragment de ce rêve qui se fissure.
“Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité.” La citation de Saint-Exupéry, placée en ouverture, résonne longtemps après la dernière note. Fantasmagloria nous rappelle, avec poésie et fougue, qu’à force de rêver sa vie, on risque d’oublier de la vivre — que même les existences moins sublimes ont leur beauté, leur intensité propre.

Et pourtant, le spectacle glisse une ultime vérité, plus douce-amère : s’il est souvent possible de concrétiser ses rêves, il existe un domaine où leur réalisation dépend d’un autre — celui de l’amour. Car aimer, c’est aussi espérer que l’autre partage nos désirs, nos élans, nos utopies. Et parfois, malgré toute la sincérité du cœur, l’autre ne suit pas. Dans ce domaine-là, nul effort, nulle volonté ne peut suffire. Alors, peut-être faut-il accepter que certains rêves ne se réalisent pas — et que c’est précisément dans ces rêves impossibles que se niche notre salut. Car rêver, dans ces instants-là, permet de supporter la dureté du réel.
En sortant de la salle, une seule envie demeure : poser, à notre tour, la première pierre de nos propres rêves. Tout en gardant à l’esprit que si la vie nous échappe parfois, le rêve, lui, demeure — fidèle, lumineux, et nécessaire.
Palais des Glaces – 14 octobre 2025 à 21h
37 rue du Faubourg du Temple – 75010 Paris